Artistes et personnalités de la culture: leur regard sur la "renaissance" de Notre-Dame
Du cinéaste Jean-Jacques Annaud au styliste Jean-Charles de Castelbajac en passant par la chanteuse d'opéra Julie Fuchs, des personnalités livrent à l'AFP leur regard sur Notre-Dame, qui a inspiré leur travail ou nourri leur imaginaire.
Jean-Jacques Annaud: "Notre-Dame est une star internationale"
Cinéaste, réalisateur du film "Notre-Dame brûle" (2022)
"Quand Emmanuel Macron a annoncé que Notre-Dame serait restaurée en cinq ans après ce monstrueux incendie, j'ai vraiment pensé que ça n'allait pas le faire. Aujourd'hui, j'attends le bonheur de redécouvrir cette cathédrale. J'habite à 100 mètres et j'ai vécu intensément la reconstruction.
Je suis très admiratif du travail gigantesque qui a été accompli, un tour de force piloté par le général Georgelin et son successeur qui a réuni les meilleurs artisans du patrimoine. Je suis stupéfait devant la rapidité avec laquelle les traces de l'incendie ont été effacées. Je suis très fier de la France.
Je prends cet incendie tragique comme un immense mal pour un bien: depuis le drame, toutes les procédures de sécurité ont été revues dans les cathédrales et nos plus beaux monuments historiques.
Notre-Dame est une star internationale d'une grande beauté qui a été attaquée par le plus charismatique des méchants: le feu. De toutes les actrices que j'ai eu la chance de diriger, Notre-Dame est sans nul doute la plus digne, mais aussi la plus fragile."
Julie Fuchs: "Chanter pour appliquer un baume sur ces murs traumatisés"
La soprano, s'est produite dans la cathédrale en décembre 2020 et chantera à la réouverture
"En décembre 2020, je me rappelle qu'il y avait beaucoup de précautions prises, notamment en termes de sécurité. On avait chanté avec des casques, des chaussures de sécurité. Il y avait la sensation d'entrer dans une grande dame toute abîmée, toute fragilisée.
J'avais l'impression d'apporter un peu de vie, de douceur, d'art, de musique et de confiance en la vie dans ce bâtiment fragilisé. C'était un moment unique parce que j'avais l'impression qu'il fallait prendre extrêmement soin de ce qu'on amenait entre ces murs.
Peut-être que c'était un peu à notre tour en tant qu'artiste de déposer un baume sur ces murs traumatisés.
Comme tous les Français et tous les gens du monde entier, j'avais été très touchée par cet événement. Une cathédrale, c'est un lieu bien plus que religieux. C'est un symbole de rassemblement, de recueillement. C'est le symbole aussi d'une pierre posée après l'autre, de cette construction faite sur des années avec tellement de soin, de respect pour la dignité, pour la beauté.
J'adore chanter dans les églises. L'acoustique est extrêmement agréable, il y a une énergie incroyable qui n'a pas de rivale dans tous les lieux de concerts du monde."
Jean-Charles de Castelbajac: "Une tristesse universelle quand Notre-Dame a brûlé"
Styliste, créateur des nouvelles tenues liturgiques à Notre-Dame
"Notre-Dame est un lieu extraordinaire parce qu'il n'y a pas de touristes, il y a des visiteurs, et il y a cette dimension universelle. On sent la puissance et on a ressenti une tristesse universelle lorsque Notre-Dame a brûlé. C'était un moment d'une terrible émotion, comme une prémonition pour notre monde en difficulté.
Mais je suis un infatigable optimiste. Donc je suis rentré à la maison. J'ai commencé à dessiner le toit de Notre-Dame en vitraux, à installer des arcs-en-ciel, des anges. Et mon utopie a repris le dessus. Mais je n'ai jamais pensé à ce moment que je serai convoqué pour participer à ce merveilleux projet, à cet atelier Notre-Dame qui fait qu'on a ce rendez-vous avec cette merveilleuse dame universelle.
Mon premier souvenir de Notre-Dame est un souvenir de provincial, lorsque je suis venu à Paris à 17 ans. Mystérieusement, je m'attendais à être perdu dans l'immensité de Notre-Dame. En fait, je me suis trouvé un lieu intime.
Dans le trésor de Notre-Dame, il y avait cette robe qui était une sorte de tee-shirt du Moyen-Âge, qui avait appartenu à Saint-Louis et a inspiré toute ma vie de designer. C'était une chose cruciforme, extrêmement simple, qui a été le support de mes robes tableaux.
Et j'en parle avec d'autant plus d'émotion que, lorsque j'ai habillé Jean-Paul II pour les Journées mondiales de la jeunesse en 1997, il a donné au trésor de Notre-Dame la chasuble que j'avais dessinée pour lui. Donc elle a rejoint ce tee-shirt du Moyen-Âge qui m'avait inspiré. Et, aujourd'hui, c'est une relique, puisque Jean-Paul II a été sanctifié."
Roy Conli: "Un symbole de refuge, de pardon et d'amour"
Producteur du dessin animé Walt Disney "Le Bossu de Notre-Dame" (1996)
"Je suis si heureux que Notre-Dame rouvre enfin car, à mes yeux, c'est le cœur de Paris.
Quand j'ai commencé à travailler avec Disney en mai 1993 et que je développais +Le Bossu de Notre-Dame+, j'ai pu organiser un voyage à Paris pour voir les sections médiévales et explorer la cathédrale elle-même. Nous avons travaillé avec de nombreux experts, visité la Conciergerie, exploré la cathédrale, sommes montés dans la tour des cloches... C'était une immersion incroyable dans ce qu'était le Paris médiéval.
Notre-Dame était toujours au centre de notre vie à Paris et de notre film. Je me souviens de Noël 1995, quand je suis allé à la messe de minuit à Notre-Dame : la splendeur, la beauté, les sons... Notre-Dame a une vie propre.
Je trouve que la conception de Notre-Dame est presque féminine, alors que la cathédrale de Chartres semble plus masculine.
Pour moi, Notre-Dame est un symbole de refuge, de pardon, d'acceptation, d'amour. Dans un monde comme le nôtre, nous avons besoin de ces lieux sûrs. C'est l'essence même de la cathédrale dans le film: un sanctuaire pour tous. Parler de Notre-Dame m'émeut presque aux larmes, elle est tellement spéciale."
Rima Abdul Malak: "Le monde entier regardait cette reconstruction"
Ministre de la Culture pendant une partie du chantier de reconstruction
"Quand Notre-Dame a brûlé, j'étais à New York et j'ai pu voir l'extrême émotion que l'incendie a soulevée aux Etats-Unis. Même là-bas, il y avait cette peur que Notre-Dame disparaisse complètement du paysage.
Quand j'ai été nommée conseillère culture du chef de l'Etat en novembre 2019, j'ai tout de suite compris que le chantier de reconstruction était une priorité absolue du Président avec un pilotage hors normes.
C'était la première fois qu'un chantier du patrimoine était intégralement financé par des dons du monde entier, géré par un établissement public spécifique et dirigé par un général d'armée.
Le monde entier regardait cette reconstruction, c'était bien plus qu'un chantier de patrimoine. Un symbole de la capacité de la France à être à la hauteur de l'Histoire.
La première fois que j'ai visité le chantier, je me souviens avoir été écrasée par l'ampleur de la tâche. Je me suis dit: +Ouh là là ! C'est à ce point...+
Le pire, ça a été quand le Covid est arrivé. La première idée qui m'est venue quand on a commencé à parler d'un confinement, c'était: qu'est-ce qu'on va faire avec le chantier de Notre-Dame ?
De voir aujourd'hui Notre-Dame à nouveau debout et encore plus belle, c'est absolument sublime. C'est une victoire collective, un symbole de résilience. J'ai versé ma petite larme en voyant les images de l'intérieur de la cathédrale.
J'espère que ça rejaillira sur l'ensemble de la société française parce que c'est une magnifique preuve de ce qu'on est capable de faire quand on unit nos talents."
Thomas Jolly: "C'est le coeur battant de la cité"
Directeur artistique des cérémonies des JO-2024 à Paris, dont une séquence rendait hommage à Notre-Dame
"Quand j'ai pris mon poste en 2022, on m'a dit que la cathédrale ne serait pas prête pour juillet 2024. Je me suis posé la question de quand même la faire participer à la fête.
Donc j'ai utilisé sa robe d'échafaudages comme un outil pour créer une chorégraphie de danse verticale, dans le cadre d'un tableau qui rendait hommage aux artisans, aux métiers d'art et à l'artisanat français.
La cathédrale, je l'ai un peu personnifiée car, pour moi, c'est comme un personnage de notre culture. Au tout dernier moment du tableau, je voulais qu'elle sonne. Donc elle a sonné ce soir-là. Je voulais qu'elle nous dise: +je ne suis pas prête encore complètement mais je veux participer à la fête+. Je voulais montrer qu'elle était comme le métronome, le coeur battant de la cité de Paris.
Je suis acteur à la base. J'ai l'habitude, dans tous mes spectacles, de me glisser à un endroit. Je me suis dit qu'il serait joli de faire apparaître Quasimodo en haut de la flèche, ce que j'ai fait, grâce à une petite astuce que je ne révélerai pas.
Je n'étais jamais rentré dans Notre-Dame de Paris avant la catastrophe. Pendant la fabrication de la cérémonie, j'ai vu les chantiers à l'intérieur, c'était incroyable. D'après les images que j'en vois aujourd'hui, j'ai l'impression qu'on retrouve une sorte de majesté, de pureté, et puis aussi de détail qui, finalement, avait disparu même avant l'incendie."
Stéphane Bern: "C'est le livre d'histoire de la France inscrit dans la pierre"
Présentateur télé, spécialiste du patrimoine, animera la réouverture pour France Télévisions
"Il y a quelque chose d'assez miraculeux de voir qu'en cinq ans on a réussi, avec les bâtisseurs des temps modernes, à reconstruire Notre-Dame. C'était impossible mais ils l'ont fait. Ce qui a été fabuleux, c'est l'élan de solidarité, d'émotion en France mais aussi à l'étranger, c'est quelque chose qui m'a vraiment impressionné.
Il n'y a jamais eu autant de petits donateurs sur un chantier. Ce qui m'avait touché, c'est que des gens m'ont envoyé de l'argent en disant avoir confiance en moi. Ils m'ont envoyé 10 euros et j'ai dû m'arranger avec les fondations pour reverser l'argent. A côté de cela, des gens du monde entier, à commencer par le roi d'Angleterre, ont fait des dons.
C'est fabuleux de voir la renaissance de Notre-Dame. Cette cathédrale, c'est vraiment le livre d'histoire de la France inscrit dans la pierre, à la fois un symbole culturel, et je crois que ce qui est important, c'est que la réouverture soit un moment de communion nationale, au-delà des croyances."
Richard Cocciante: "C'est un miracle qui est en train de se produire"
Chanteur-compositeur, co-créateur de la comédie musicale "Notre-Dame-de-Paris" (1998)
"Ce qui me lie au monument, c'est cet opéra populaire que j'ai créé avec Luc Plamondon.
J'ai aimé le livre de Victor Hugo, l'histoire, tous les personnages. C'est l'histoire de la richesse de la différence humaine.
Ce qui nous a inspirés, c'est l'âme de Notre-Dame. Ca nous a donné des ondes qu'on a pu transmettre.
Avec Luc, quand on a fini d'écrire l'oeuvre, on l'a proposée à des producteurs qui n'en voulaient pas parce que c'était quelque chose qui soi-disant ne fonctionnait plus (auprès du public). Ensuite, ça a eu le succès qu'on connaît, un succès authentique.
Au moment de l'incendie, on s'est dit: +est-ce qu'on pourra la reconstruire ?+ C'est un miracle ce qui est en train de se produire, elle renaît encore une fois de ses cendres."
Jean-Michel Jarre: "Notre-Dame a un côté révolutionnaire"
Musicien et compositeur de musique électronique, a donné un concert dans Notre-Dame virtuelle le 31 décembre 2020
"J'ai été très frappé, comme chacun de nous, par ce qui s'est passé à Notre-Dame, aussi parce qu'il y a eu une sorte de synchronisme assez étrange avec le Covid. C'est comme si nous avions tous été affaiblis en même temps que la cathédrale.
Il y avait une symbolique qui me paraissait vraiment intéressante et un message d'espoir pour la nouvelle année 2021, l'espoir qu'on arrive enfin à juguler le Covid et qu'on puisse renaître comme la cathédrale.
Pour la reproduire numériquement, on est parti d'une modélisation que la société française de jeux vidéo Ubisoft avait faite pour un de leurs jeux et qui était très fidèle.
Au final, on a eu plus de 75 millions de personnes qui nous ont suivis et ça montre la convergence qu'il y a eu entre le concert lui-même, le côté novateur du projet en réalité virtuelle et Notre-Dame.
Ce qu'on oublie souvent, c'est que les gens qui étaient à l'origine de la conception de Notre-Dame étaient des visionnaires absolus qui ont absolument révolutionné les technologies de l'époque en termes de construction, de maçonnerie, en termes artistiques aussi, de création des vitraux. Notre-Dame a donc, en elle-même, un côté révolutionnaire.
Sur un plan personnel, ça m'intéressait beaucoup et j'ai pensé que la meilleure manière de rendre hommage à un bâtiment futuriste comme Notre-Dame, c'était de le faire avec les moyens et les outils de notre époque, en essayant d'être aussi novateur et visionnaire que les gens qui l'ont bâti."
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