Les maladies chroniques, source de discrimination méconnue au travail
De plus en plus fréquentes dans une population active vieillissante, les maladies chroniques sont une source de discrimination souvent méconnue dans le monde du travail, au risque d'un "déni collectif".
Une personne sur six atteinte de maladie chronique (diabète, asthme, cancer...) a ainsi été confrontée à une discrimination ou à un harcèlement discriminatoire dans le cadre professionnel en raison de son état de santé ou de son handicap, selon un baromètre réalisé par la Défenseure des droits en partenariat avec l'Organisation internationale du travail (OIT).
Un risque multiplié par trois dès lors qu'il s'agit d'une maladie "visible", selon cette enquête publiée jeudi.
"Les représentations sociales négatives liées à la maladie, souvent perçues comme incompatibles avec le travail, l'invisibilité des symptômes, la peur d'être exposé aux discriminations alimentent finalement un déni collectif", a expliqué la Défenseure des droits Claire Hédon lors d'une conférence de présentation du baromètre.
Pourtant, après celles liées à la nationalité, à l'origine ou à la couleur de la peau, les discriminations liées à l'état de santé et au handicap sont les plus fréquemment citées parmi les 3.000 personnes, dont 1.000 souffrant de maladie chronique, interrogées par Ipsos pour cette enquête.
La situation est d'autant plus préoccupante que la part de la population active touchée par une maladie chronique augmente rapidement: de 15% en 2019, elle devrait atteindre 25% dès 2025, selon l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact).
Une évolution due à la fois aux progrès thérapeutiques "qui ont pu contribuer à transformer certaines maladies, autrefois aiguës et mortelles, en maladies chroniques", mais aussi aux "facteurs environnementaux", "inégalités socioéconomiques" ainsi qu'aux "conditions de travail".
Aussi "le recul de l'âge de départ à la retraite, le vieillissement de la population active risque quand même très probablement d'augmenter cette tendance", selon Claire Hédon.
Double peine
La médecin du travail Marielle Dumortier a de son côté constaté, lors de la présentation du baromètre, que "de nombreuses femmes travaillent sur des postes inadaptés à leurs normes anthropométriques", ce qui "contribue à générer un certain nombre de pathologies, notamment des troubles musculo-squelettiques".
Les postes de travail ne sont souvent pas aménagés comme ils le devraient: ainsi "19% des salariés atteints d'une maladie chronique bénéficient d'un aménagement de leur poste" alors que 29% n'en bénéficient pas, mais en auraient besoin, selon le baromètre.
Faute de mesures adaptées et de soutien au sein de leurs entreprises, la présence de salariés souffrant de maladies chroniques "peut rapidement générer des tensions au sein d'un collectif de travail, notamment du fait d'un report de charge de travail sur d'autres collègues", explique la Défenseure des droits.
"Pour les salariés malades, l'effet est double: au-delà de l'épreuve que constitue la maladie, ils sont davantage exposés dans l'emploi à un risque de stigmatisation, d'isolement, de discrimination et aussi de déclassement professionnel", poursuit Claire Hédon.
Ainsi une majorité (55%) de personnes malades déclarent avoir vécu une situation de harcèlement moral, contre 35% du reste de la population active, selon l'enquête.
Et 40% des personnes malades dont les problèmes de santé sont connus de leur employeur et de leur supérieur "ne bénéficient du soutien et de la compréhension ni de l'un ni de l'autre".
Le directeur du bureau de l'OIT en France, Cyril Cosme, a insisté sur la nécessité "de former et de sensibiliser les acteurs du monde du travail à la situation de ces travailleurs" malades et "l'importance de rappeler le rôle des représentants du personnel et des syndicats vers qui les travailleurs peuvent se tourner en cas de discrimination".