"Epuisés": dans Bakhmout dévastée, l'armée ukrainienne résiste malgré l'avancée russe
Sous les obus, les murs du sous-sol tremblent au moment où un soldat, en sang et le visage pâle, est évacué dans une ambulance située à l'extérieur. A Bakhmout, épicentre des combats, les forces ukrainiennes tentent de résister à l'avancée russe.
Autour du blessé, des militaires et des infirmiers lui prodiguent les premiers soins, avant de rapidement se mettre à l'abri, alors que les frappes russes pleuvent.
"Pourquoi ai-je si froid, docteur ? Je me sens partir", dit le soldat déposé sur un matelas taché de boue.
Une équipe de l'AFP a pu pénétrer dimanche à Bakhmout, rare occasion pour des médias de constater l'étendue des dégâts dans cette ville de quelque 70.000 habitants avant l'invasion russe, aujourd'hui largement dévastée.
Au cours de ce déplacement encadré par l'armée ukrainienne, les journalistes de l'AFP ont entendu sans interruption le bruit sourd des tirs d'artillerie russe.
Autour d'immeubles autrefois habités et qui portent aujourd'hui les stigmates de la guerre, il n'y a plus que des débris, des bouts de verre et des croix indiquant les endroits où des soldats ont été enterrés à la hâte, sous le feu.
Face à l'armée russe et aux combattants du groupe paramilitaire Wagner, les troupes ukrainiennes résistent tant bien que mal dans la partie ouest de la ville dans ce qui est la bataille la plus longue et la plus sanglante de la guerre.
Les deux camps ont subi de lourdes pertes, dont l'étendue est inconnue, dans cette bataille. Ils y mènent une lente guerre d'usure avant une contre-offensive ukrainienne annoncée pour les prochains mois.
Malgré tout, l'armée russe connaît des avancées, au point de contrôler aujourd'hui plus de 80% de Bakhmout.
"Fatigués, épuisés"
"Ils n'arrêtent pas de nous attaquer, jour et nuit. Sauf lorsqu'on les frappe et qu'ils sont occupés à évacuer leurs morts et blessés", raconte à l'AFP le commandant-adjoint d'une unité ukrainienne, sous le nom de guerre de "Philosophe".
"Petit à petit, ils grignotent des zones" de la ville, dit-il depuis un poste de commandement souterrain dans Bakhmout.
La lutte pour ne pas perdre entièrement Bakhmout a un coût important pour Kiev: chaque jour, des soldats sont tués ou blessés.
"Nous sommes fatigués, les troupes sont épuisées", souligne le "Philosophe", qui explique comment ses hommes de la 93e brigade se retrouvent parfois à moins de trois mètres de l'ennemi, sous le feu d'un barrage constant d'obus.
"Chaque jour de plus où l'on résiste ici donne plus d'opportunités pour d'autres unités de se préparer à une contre-offensive", veut-il croire.
Des images de drone tournées par les équipes de reconnaissance de l'armée ukrainienne et vues par l'AFP montrent un désert de destructions et de la fumée émanant de plusieurs immeubles anéantis.
"Ils détruisent tout, avec minutie. Alors que nous, on tire sur des cibles définies au préalable, avec plus de précision et des ajustements avec l'aide des drones", assure le commandant.
Pour lui, la "vulnérabilité" des Ukrainiens dans cette bataille de 10 mois vient du manque de munitions.
"Route de la vie"
La défense de la ville ne semble tenir qu'à un fil, en réalité, à une route. L'autoroute T 0504, qui permet de relier Bakhmout aux territoires contrôlés par l'armée ukrainienne et d'approvisionner les unités restant dans sa partie ouest.
Dénommée "La route de la vie" pour ce lien qu'elle permet de maintenir, elle est aussi symbole de la violence des combats, avec ses véhicules carbonisés gisant le long.
Comme un rappel qu'à Bakhmout, la frontière entre la vie et la mort est parfois très fine.
"Depuis le ciel, la seule chose que l'on voit, ce sont des cratères", décrit à l'AFP un pilote de drone au nom de guerre "Chuck"
Sur le chemin, des arbres calcinés bordent la route de 25 kilomètres depuis la principale localité sous contrôle ukrainien la plus proche. Des voitures civiles et des véhicules militaires filent sur la voie boueuse, dans un sens pour approvisionner et renforcer les troupes dans Bakhmout, dans l'autre pour en sortir les blessés.
"Vous pouvez l'appelez +La route de la vie+ ou +La route de la mort+", souffle Amina, combattante de 22 ans, engagée dans l'armée ukrainienne depuis plusieurs mois.
Le président Volodymyr Zelensky a averti le mois dernier que la chute de Bakhmout donnerait la "voie libre" à l'armée russe pour avancer encore dans le Donbass, avec en ligne de mire les villes de Sloviansk et Kramatorsk.
"Complètement coupé"
Dans des champs gorgés d'eau près de Bakhmout, le commandant Andriï, 26 ans, manie le canon. Son travail: éviter un assaut russe depuis la route.
"Si vous coupez (la route), tout le monde à Bakhmout est mort. Pas de provisions. Pas de munitions. Pas de nourriture. Rien. (Bakhmout) sera complètement coupé", dit-il à l'AFP, à côté de ses hommes qui empilent des obus qui viennent d'être livrés.
"On peut aider les gars à garder le contrôle de la route. Ils peuvent garder la ville", assure-t-il.
Pourtant, les Russes, qui pilonnent sans relâche la zone, ne sont plus très loin.
Depuis un véhicule qui file à toute allure sur la route, Alexandre, un soldat ukrainien de 41 ans, pointe du doigt une de leurs positions, à seulement 900 mètres. Soit la distance que sa kalachnikov peut atteindre.
"Victoire à la Pyrrhus"
"Nous fortifions nos positions et les Russes arrivent en lançant tout ce qu'ils peuvent, tout ce qu'ils ont. Tout est bombardé avec des roquettes, des mortiers et des chars. Il n'y a nulle part où se cacher", dit Andriï, soldat de 38 ans.
Plusieurs militaires ukrainiens du bataillon d'assaut Aïdar disent manquer du soutien de l'artillerie et de munitions pour égaler ou surpasser les forces russes.
"Nous manquons de beaucoup de choses. Nous n'avons pas assez d'armes, bon sang", lance Andriï.
"Si la Russie s'empare de Bakhmout, ce sera une victoire à la Pyrrhus", explique Mykola Bielieskov, chercheur à l'Institut national d'études stratégiques de Kiev.
"Les guerres sont gagnées par des opérations offensives rapides. Ce n'est pas ce que les forces russes ont fait autour de Bakhmout", souligne-t-il.
Bakhmout n'est d'ailleurs guère une ville désormais, mais surtout un champ de ruines.
"Il ne reste plus aucun bâtiment. Tout, tout, tout est complètement détruit. De toute façon, il faudra tout démolir", relève Andriï.
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