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A Stepanakert, la crypte de Sainte-Mère de Dieu pour se protéger des roquettes

04/10/2020 21:06 © Moov

A Stepanakert, la crypte de Sainte-Mère de Dieu pour se protéger des roquettes

Comme une scène d'image sainte, le cierge illumine en clair-obscur un cercle de visages graves, assemblés silencieusement sous un dôme de pierre autour d'un lit de fortune et quelques bancs de sacristie.

Dans la crypte de la cathédrale Sainte-Mère de Dieu, des habitants de Stepanakert, la capitale du Nagorny Karabakh, territoire séparatiste azerbaïdjanais peuplé en majorité d'Arméniens, ont trouvé refuge pour échapper aux bombardements azerbaïdjanais.

L'imposante église aux coupoles de grès rose, affiliée à l'Eglise apostolique arménienne, trône au sommet d'un escalier en plein centre-ville. En ce dimanche matin à l'apparence paisible, quelques hommes s'aventurent dans les rues, le regard inquiet ou un sac plastique à la main pour aller aux provisions.

Les sirènes d'alerte viennent soudain interrompre l'accalmie, annonçant une prochaine salve de roquettes ou le survol menaçant d'un drone au caractéristique bourdonnement de tondeuse.

Pour les voisins de la cathédrale Surb Astvatsamor Hovanu, son nom arménien, l'abri est tout trouvé. "C'est sans doute l'endroit le mieux protégé de Stepanakert, par le granit et par notre Seigneur", proclame un immense prêtre à la voix de stentor.

# Liste des tués

D'un calme olympien, l'homme en soutane noir et gilet treillis organise l'assistance aux déplacés réfugiés dans la crypte assombrie par les coupures d'électricité.

Pas de caveau dans cette cathédrale trop récente, consacrée en 2019, pour accueillir béatifiés et martyrs, mais des chapelles attenantes à la vaste salle de marbre, où les déplacés sont installés par famille autour d'un matelas, d'un banc de bois ou d'épaisses couvertures multicolores.

"Cela fait trois jours que nous sommes ici", murmure Gohar, fragile jeune femme brune qui tient dans ses bras Angelina, sa fille d'un an qui suçote frénétiquement sa tétine rose. 

Ils sont sept au total de la famille Stefanian. Les femmes de toutes les générations tentent de faire passer le temps aux enfants.

"Les hommes sont au front. J'ai appris hier la mort d'un ami de 23 ans", éclate en sanglots Gohar, qui reste sans nouvelles de son frère au combat. 

Mais cette habitante du quartier ne veut pas fuir pour autant sa "terre", l'Artsakh, le nom arménien du Karabakh. "On espère juste que tout ça va s'arrêter dans quelques jours".

Plusieurs familles déplacées ont quitté les lieux samedi pour Erevan.

Quelques-uns des occupants de la crypte font parfois l'aller-retour à leur domicile à la faveur de la nuit ou des accalmies, pour collecter un peu de nourriture ou quelques vêtements. 

Les vivres ne manquent pas, amenés jusque dans les bras des prêtres par d'innombrables mains plus ou moins anonymes, venus d'Erevan ou parfois plus loin de la diaspora. 

Pas de célébration religieuse ce dimanche, l'angoisse des bombardements ne s'y prête pas. Mais une brève oraison résonne tout de même dans la nef, face à une poignée de fidèles un peu perdus sur les bancs de bois désertés. 

Seule une vieille femme voilée de noire, imperturbable, récite son chapelet, puis vient se recueillir devant une icône tandis que s'élève un nuage d'encens.

# "Grad !"

Une dizaine d'hommes, en civil ou en uniforme, patientent à l'abri du porche extérieur, devant les lourdes portes de bois sculpté, scrutant les nuages à l'affût des roquettes ou d'un répit pour pouvoir reprendre leur chemin, commentant les dernières nouvelles du front.

"Nous ne laisserons jamais l'ennemi s'enfoncer en profondeur, nous sommes ici sur les terres historiques de la chrétienté arménienne!", lance l'un des prêtres, un crucifix d'or à la main.

De nouveau les sirènes résonnent au loin, puis plus proches. On se précipite dans l'édifice pour aller vers la crypte. Une minute plus tard, un fracas d'acier déchire l'air, puis d'autres. 

Des pluies d'éclats s'abattent sur des immeubles au loin d'où s'élève brièvement une fumée grise. Des roquettes "Grad", assurent un ancien, vétéran de la guerre de 1988-1990 contre l'Azerbaïdjan.

Des explosions en grappe à l'écho circulaire sur fond de bruit de tondeuse font suspecter des tirs de drones. En réalité, personne n'en sait vraiment rien. 

Un épais panache de fumée noire obscurcit l'horizon à la périphérie nord de la ville: "Un avion azerbaïdjanais descendu par les nôtres", jure-t-on ici. Une station électrique qui a pris feu sous une roquette, entend-on dire ailleurs.

Ces scènes se répètent jusqu'en début d'après-midi, à intervalles réguliers d'une trentaine de minutes, marquant une nette montée en puissance des bombardements sur la capitale du Karbakh, visée depuis vendredi. 

Le calme revient dans l'après-midi, jusqu'aux prochaines salves.

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